SOUVENIRS DE GUERRE D'UN ENFANT DE MITRY - MORY.

Le souvenir le plus ancien qui me vient à l'esprit se pare de la couleur Kaki. En ces années 1939-1940, Maman et moi accompagnons Papa jusqu' à la Gare de l'Est, à Paris, sans doute à l'expiration d'une permission. Il lui faut rejoindre Montbéliard. Du haut de l'escalier mon Œil enregistre, une masse de personnes revêtues de Kaki.

En prévision du recul de nos troupes, un voisin suisse qui habite aussi au 10 bis de l'avenue de la gare, avenue au nom modifié depuis, Walter STAEHELIN, dit Wali , emmène dans sa traction avant Citroën toute la famille dans l'Yonne, le départ en exode des fermiers voisins, le beuglement lamentable et poignant des vaches au pis trop lourd parce que non traites créent une ambiance pour le moins inhabituelle. Et les Allemands arrivent, je garde très présent en mémoire le spectacle de fantassins Feldgrau en lignes par six ou huit, précédés par un ou plusieurs officiers à cheval dont l'arrière du corps se trouve blanchi par la poussière de la route. Les troupes occupent des emplacements très divers. Et je vois, au fond du pré , un soldat ennemi pédalant sur place. Quelle affaire! J'ignore qu'à l'époque on peut, par cette méthode, créer du courant électrique.

La suite des événements concerne la période de l'occupation vécue à Mitry-Mory, au 10 bis de l'avenue de la Gare, dans un immeuble maintenant démoli. Nous ne rencontrâmes que peu d'occupants. Je revois deux soldats qui, sur la place de la République, semblaient essayer des objets mystérieux, sans doute plusieurs exemplaires de quelque projectile.. Je prenais garde de ne pas me montrer quand passait sur la route toute voisine un convoi allemand.

A l'école, les enfants reçoivent des vitamines sous forme de petites pastilles roses au goût pas forcément agréable. Mais cela complète ce que permettent d'obtenir les cartes d'alimentation. Selon leur classement en J1,J2,J3 les adolescents peuvent recevoir telle ou telle quantité d'aliments. Quant aux écoliers, ils se rendent à la chasse . A la chasse aux doryphores. Je veux parler, cette fois des coléoptères à élytres si friands de feuilles de pommes de terre; je me rappelle un tel combat dans un champ situé dans le tournant de la vallée. En parlant de feuilles, je me souvient d'une plaisanterie mûrie à l'encontre de jeunes voisins. Comme on le sait, le tabac ne surchargeait pas les devantures des débitants spécialisés et chacun plus ou moins se livrait à la culture des plants de tabac. Je prends un jour, des feuilles de haricots à rames, déjà tournant au jaunâtre, je les malaxe et les offre à nos voisins, les frères Jacques et André VERNIER. Leur réaction me persuada de ne pas persister dans ce commerce.

La presse , elle demeure pour moi, surtout présente par des feuilles de petits format rapportant les méfaits de terroristes qui attaquent des mairies, s'ingénient au déraillement des trains, cela ne laisse pas de troubler un crédule enfant des classes élémentaires. D'autant que son père doit assurer avec d'autres hommes la surveillance nocturne des voies ferrées. Le pillage de ce que l'occupant considérait comme ses biens comportait des risques. Ainsi des wagons déraillés à la gare de Mitry-Claye incitèrent au chapardage. Et une sentinelle blessa au visage , par balle, un jeune qui en gardera trace durant toute sa vie. Je pus voir, fruits de ce larcin, des broches multicolores rondes d'environ six centimètres de diamètre ainsi que des boites marquées " Zahnseife " ( dentifrice ). L'aviation on peut le constater, tient un rôle important dans ces souvenirs. A Mitry, par sécurité, la ville creusa des tranchées dans le parc de la mairie. Une fois ou deux, on nous y emmena, par classe, à titre d'entraînement. Je revois les trois ou quatre Spitfire attaquant, l'un après l'autre, sans doute un convoi allemand sur la route de Meaux et je suis persuadé que l'un d'eux ne remonta pas.

Un détail sur les méfaits de la guerre. Un immeuble de plusieurs étages constituait notamment le 10 de l'avenue de la Gare. Nous appelions cette construction maintenant démolie "La Maison Blanche " En continuant vers l'entrée de l'usine, un beau mur de briques présentait un solide grillage. Ce grillage reçoit, peu avant leur départ la visite de militaires en Vert-de-Gris qui le cisaillent afin d'y installer une pièce d'artillerie. Sur les voies de l'usine proche stationnent de forts Wagonnets-Tombereaux chargés de sable, quatre voisins adolescents s'y amusent, un allemand munis d'n pistolet- mitrailleur s'approche, les quatre adolescents s'enfuient. Cet allemand reste le dernier représentant de la Wehrmacht que je vis vivant.

Après le départ des envahisseurs, voilà les unités alliées. Quelques garçons en civil, armés et portant un brassard tricolore marchent de chaque côté de la chaussée, vers Mory . Peu de temps après, un convoi de G.M.C s'étire vers le centre du bourg, selon les leçons paternelles, je présente les armes avec ma carabine à fléchette. Cela réjouit fort un conducteur noir, qui en partie sorti de son poste de conduite, jette des friandises ou autres chocolats. Plus triste la vision de monsieur RAVANETTI, marchant vers le centre, seul au milieu de la route, accompagné par deux colonnes de civils, l'arme au poing. Son crime: coiffeur de profession dans le quartier des acacias, il dut consacrer son art à des occupants. L'affaire n'entraînera pas heureusement de conséquence grave.

MITRY-MORY connut des combats, ainsi que nous l'avons lu. Deux monuments marquent le souvenir de deux Yankees tués lors de la libération, et plusieurs victimes succombèrent du côté ennemi. J'ai vu les premiers morts de ma vie au cimetière: des corps de soldats allemands alignés le visage découvert, de très jeunes soldats, dont les papiers personnels gisaient alentour, dérobés par des personnes sans scrupule. Des casques empilés l'un dans l'autre formaient une espèce de monument funèbre . Deux de ceux-ci se retrouvèrent chez nous , ils servaient à monter le charbon de la cave , une triste vision qui restera gravée à jamais dans ma mémoire d'adolescent.

Témoignage transcrit de Chantilly en Juillet 2004

par Monsieur André BERGERY

Jacques DEVIGNAT

mitry-mory la liberation ( 13 )